« Ombre de l’ombre. On se regarde un peu de biais et l’on attend.
« Le plus près, le plus juste, c’est pourtant cette blancheur. Absent, mais commençant, sans but ni projet, effrayé du premier faux pas. Écrire est un essai de voix. Dehors grésille. Terre et tête tournent. Les mots, les heures, la plume aiguille, la page horloge. Un après-midi où se perdre. Une chance de s’en aller peut-être.
Ne rien dire. Mais les mots se pressent. Ils sont en foule et par bouffées le sang de ce silence.
La langue à l’œuvre, comme chair embaumée, seule sur l’escalier vide. L’encre prend plaisir à se perdre,
.
Nulle trace. Page hiberne. On voit encore filer là-bas des trains de nuit, hurlant aux carrefours de la plaine. Des traîneaux dévalent la montagne. Si peu d’encre déplace tant de pierres. Éboulis d’un rêve enfantin. Neige recouvrant la neige, mémoire en avalanche. La plume est cette aiguille qui tremble dans le bras d’un mort.
« Envie d’un pas qui se rapproche, d’un froissement. La voici : elle a défait sa robe dans la fraîcheur.
Il fallut descendre d’abord, ne rien vouloir, pas même se perdre. Descendre dans l’attente et l’absence, et devenir une espèce de fantôme pâle, pour que recommencent toutes choses.
Sur la page, des cristaux se détachent. Carreaux brisés, traînées de craie, une portée de taches d’encre… Blouse grise boutonnée jusqu’en haut, rapiécée mais convenable. Quelques gamins criards avant la classe, alignés sous le préau. Cartable sous le bras, plein de billes et d’oiseaux mal dessinés, de copeaux, de crayons cassés.
Comme une odeur ancienne. Quelqu’un se penche par-dessus l’épaule et observe. Comme cette lampe allumée sur la rive du lac. La nuit lente avance à pas de scarabée, lissant parfois ses ailes. À une vingtaine de centimètres du visage et de l’haleine, un lit de papier, une île pure au milieu du monde.
Ce sont des nuées d’anges qui ont perdu leur dieu et qui chantent à pierre fendre. On entend au loin des coups de fusil. Voici l’automne de couleur rouge : les mots tombent par poignées. Récolte des papillons gelés, bouches closes dans l’herbe. Quand les feuilles seront bien sèches, il restera au pied des arbres de petits squelettes en forme de chandeliers.
On s’en retourne vers l’enfance à pas de loup. Des cheveux sur la neige. Féérie des premiers flocons. Echarpes et bonnet de laine. L’encre parfois pétille un peu. On ne s’en ira pas si vite.
On attendra que cicatrise le ciel. »
Jean-Michel Maulpoix, Un dimanche après-midi dans la tête
* J’ai coupé dans le texte, comme on travaillerait la terre glaise, avec lenteur et application, un mouvement répétitif et lancinant, lire relire revenir, reprendre. Ce qu’on filtre, ce que la musique nous amène à filtrer, des respirations, une ponctuation, ces silences qu’on entend et qui se creusent sous la paume, gonflent si plein, légers lourds opaques, du coton peut-être.