Des méduses au coin des yeux (3)

 

Lhasa de Sela – La marée haute
 

La fatigue me rend triste. Couches infinies aux entrelacs de la mémoire, les visages se superposent, les paysages s’entremêlent : ici ou là tout est pareil. Nous ne sommes que cinq à bord et pourtant, pourtant c’est comme si le monde y était réuni. Le monde, nos précédents voyages, mes rencontres, la sienne, tout est là ce matin, et l’or qui n’en finit plus de briller. J’imagine le chemin qui me ramènerait vers elle – de détour en détour en traverses, mes pas fantasment ce que ses yeux auraient pu aimer contempler
à s’en perdre.
Avec moi ?
La clarté du jour ne peut estomper la fatigue de la nuit que nous venons de traverser. Les ombrelles m’obsèdent comme tâche de bronze incrustée au coin des yeux, voir trouble ébloui, sa présence partout, en moi, devant, à la surface de l’eau – que fais-tu ? Et ces fleurs comme mes yeux ton prénom et  sa voix qui nous chantait…

la route chante
quand je m’en vais
je fais trois pas…
la route se tait

la route est noire
à perte de vue
je fais trois pas…
la route n’est plus

sur la marée haute
je suis montée
la tête est pleine
mais le cœur n’a
pas assez

mains de dentelle
figure de bois
le corps en brique
les yeux qui piquent

mains de dentelle
figure de bois
je fais trois pas…
et tu es là

sur la marée haute
je suis montée
la tête est pleine
mais le cœur n’a
pas assez

 

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« je suis le danseur étoile, ma sœur est la ballerine, nous ne faisons plus aucun poids, nous volons en l'air, c'est une des jubilations de l'enfance de pouvoir se transformer en plume. » —Hervé Guibert

DANS LES CARNETS

à propos du silence de Larmes (largo di molto)