_extrait du carnet de notes de là-haut, daté d’août 2015 ; Upernavik, Groenland :
Dimanche 16 août. Upernavik.
Réveillée 11h. Beau ciel bleu et sentinelles éloignées sur la ligne d’horizon. Je lis quelques textes de mh sur la mort — la sienne à venir, point trop n’en faut, les rapprochements que mon cerveau fait malgré moi me serrent le cœur. Énoncer le mot vivre fait trembler ce que nous sommes, les contours de ce que nous voulons placer en la vie et nos propres contours dans tout cela.
J’écoute L’image fantôme d’Hervé Guibert à propos de cette photographie manquée qu’il a voulu réaliser de sa mère avec un Rollei 35 et dont le film, mal enclenché, n’a reçu aucune impression. Texte si fort sur ce que la photographie devrait être : un révélateur d’un rapport particulier entre celui qui prend et celui qui est pris ; événement fort que cette séance, et son échec, entre sa mère et lui — les manqués qui sèment un pincement au cœur dans toute vie. HG questionne s’il photographie la mise à mort de son père en photographiant sa mère ainsi (c’est-à-dire sans les fards d’une image sociale répétée chaque jour avec soin par sa mère) ou la mort de sa mère elle-même.
Knud me disait que selon lui (m’ayant précisé quelques jours auparavant que les Inuits étaient très fiers du lieu et de ce à quoi ils appartenaient), Upernavik a la plus belle vue du Groenland parce qu’elle donne entière, sur la mer libre. On dit de la mer qu’elle est libre comme on dirait qu’elle est libérée de la terre peuplée de toutes ses malédictions, et de l’Inlandsis et ses glaces effroyables bien plus imprévisibles que celles de la banquise qu’on sait à peu près fouler. Je dis à peu près parce qu’il y a toujours des morts pris par la banquise.
Dans un courrier de mh je relève ses mots touchant à quelque chose que j’avais écrit dans ma commode* :
prélude des amants quel animal creuse en nous répétition d’indéfinissable
Je lis aussi un très beau texte de François Bon « L’homme n’a pas d’âge ».
Dans Pierre flotte sur l’eau (Rifaat Salam):
Chien qui mord | je marche perplexe sur les lignes de l’impossible – sur les brisées du vent, là où il oblique j’oblique —- chien féroce
Coeur sauvage | Tu viens tu vas sans rendez-vous, présent absent, une forêt de blessures où s’amusent les oiseaux qui y établissent leur nid
Temps poltron | Combien avons-nous dormi ? Vingt siècles d’illusion, une éternité de beau divertissement ?
Oubli qu’as-tu fait de moi, prends-moi, sur une vague orange je flotte et plonge, je ne sais, soleils bleus ou oiseaux gris me mordent
Sans histoire je me suis perdu dans les plis du relief et le brouillard. —- Je suis l’égaré maudit.
17h50 message de f. qui m’écrit :
#nostalgie(paf!) Et sinon ça va ? Du coup t de retour en France ? Moi je rentre d’un petit week end chez papouch à Montfort. Bou je serais bien resté toute la semaine ! À bientôt ,) // de nos rigolades oui :) je suis encore dans la baie de Baffin sur une île minuscule par 72° Nord. Que le temps se dilate au milieu des icebergs et des chiens qui hurlent ! Montfort c’est où ?
C’est le village près de Brignoles, avais oublié (ou jamais su?) son nom.
Températures si douces au dehors que je reste bras nus à manger mon orange et à fumer.
23h28 c’est à cette heure-ci désormais que je guette le soleil couchant derrière la petite île en face du bureau, les jours raccourcissent donc vraiment. Je ne sais toujours pas quand je repars d’ici. J’attends le retour de la nuit pour envisager les avions qui me feront redescendre, un point après l’autre, jusqu’à la maison (upernavik : ilulissat : kangerlussuaq : copenhague : paris : marseille).
Dans cinq minutes à peine, le soleil se sera dissimulé derrière la terre, sept minutes encore et il aura passé l’horizon. Le soleil se couchant maintenant bien à l’ouest mais se relevant par nord-ouest quelque temps après. Un temps ridiculement court.
Je regarde d’un œil oblique et d’une oreille distraite La Maman et la Putain.
Un avion passe au-dessus du soleil, ligne presque horizontale, cap vers le Canada.
Voile rose de nuages au Sud, comme un plaid hivernal.
*la commode est un blog foutraque (une commode mal rangée) que j’avais tenu entre 2011 et 2013 en mode semi-privé et qui relatait le bruit des jours qui passent.